CHAPITRE XVI
C’est avec beaucoup d’appréhension que Holman emprunta le long couloir qui menait à la chambre d’observation numéro trois, où, lui avait-on dit, Casey était en train de se reposer. Il n’avait pas pu voir Janet Halstead ; après une nuit passée à organiser le travail de son équipe ainsi que les mesures d’urgence prises dans les hôpitaux, sans oublier la surveillance du traitement de Casey, elle s’accordait quelques heures d’un sommeil bien mérité. Un autre médecin l’avait informé que la séance de radiologie s’était bien déroulée ; on attendait à présent que Casey s’éveille de sa torpeur pour se prononcer sur son succès.
Holman aussi manquait de sommeil. Son aventure du matin l’avait épuisé ; le souvenir du moment où il avait repris conscience au fond d’une tombe, aux mains d’un aliéné qui maniait la pelle pour l’ensevelir, dépassait en horreur tout ce qu’il avait vécu. Le cauchemar d’être enterré vivant, tout le monde l’avait fait un jour ou l’autre ; fort peu l’avaient vécu, comme lui.
L’armée l’avait rapatrié à Londres par hélicoptère, car il était manifeste qu’on ne le persuaderait pas de retourner le jour même dans le brouillard. L’accompagnaient le professeur Ryker, et naturellement Barrow, en qualité de garde du corps. Ryker s’était montré désappointé de le voir revenir sans le précieux échantillon, mais il avait compris par quelle terreur il avait dû passer et n’avait pas insisté pour obtenir une seconde tentative. De toute façon, ce brusque changement de temps déplaçait trop vite le brouillard : il était difficile d’en repérer le centre.
Les villes qui se trouvaient sur son parcours étaient en cours d’évacuation. Heureusement, toute cette zone était relativement peu peuplée. Des véhicules de l’armée et de la police, guidés par des hélicoptères, précédaient la masse grise en mouvement ; chaque maison isolée, chaque village étaient vidés de leurs habitants qui s’entassaient dans les camions pour être emmenés loin du danger. Les cargaisons humaines une fois à l’abri, on répétait le processus. Tâche pénible et harassante, qui n’évitait pas toujours les accidents graves, mais, dans l’ensemble, couronnée de succès.
Malheureusement, le processus ne pouvait être maintenu indéfiniment ; ceux qui dirigeaient l’opération redoutaient le moment inévitable où le brouillard atteindrait une grande ville. Si le vent cessait de souffler vers l’est, s’il se mettait à pousser la nappe vers Basingstoke, Farnham, Aldershot, Londres ?
Pour l’heure, on se tourmentait au sujet d’Haslemere, la plus importante cité située sur le trajet du brouillard. Elle avait déjà été vidée de ses habitants, dont la plupart avaient fui vers le nord ; la direction du sud inspirait la peur d’être arrêté par la mer, comme dans le cas de Bournemouth. Personne ne put convaincre la population que cette peur était injustifiée – la nappe n’ayant encore qu’un mile de côté pouvait être facilement contournée – et les routes du nord furent encombrées de véhicules de tout genre aussi bien que de piétons en proie à la panique.
Le Premier ministre était rentré à Londres. Il dirigeait les opérations avec un état-major composé de militaires, de scientifiques et de médecins, depuis un quartier général spécial, vaste abri souterrain absolument inviolable situé à moins d’un kilomètre de la Chambre des communes et dont l’emplacement exact était tenu strictement secret. Tout était prêt pour s’y retrancher en cas de brouillard sur Londres. Construit pour servir d’asile contre les bombes nucléaires, il allait maintenant être utilisé contre une menace que personne n’avait imaginée ; ses défenses antiradiations serviraient de remparts face à une maladie mortelle créée par l’homme.
On n’excluait pas l’éventualité d’allumer d’immenses feux dans Londres pour disperser le brouillard s’il se présentait, sachant que l’ordre n’en serait donné qu’en dernier ressort ; le danger de voir Londres devenir la proie des flammes restait une effrayante possibilité qu’il ne fallait pas ignorer. Du moins serait-ce une action positive. La démoralisante partie d’échecs engagée dans le Sud contre le brouillard ne pourrait pas s’éterniser ; le public avait besoin de constater de visu que des mesures de protection effectives étaient prises à son égard, même si elles étaient rudimentaires.
On l’avait informé qu’un antidote se préparait, dont bientôt de larges quantités seraient disponibles. On lui racontait que le virus s’affaiblissait, qu’il n’allait sans doute pas tarder à s’éteindre ; ou alors, qu’il se diluerait tellement dans l’air ambiant qu’il deviendrait inactif. On confirma l’opinion des experts selon laquelle le produit aurait mystérieusement dérivé de la mer ; une enquête plus complète sur son origine serait mise en œuvre dès que la crise serait jugulée. On mentait au public en somme ; le gouvernement estimait que c’était pour son bien, et que la panique générale ne ferait qu’augmenter le danger. La vérité serait dite – en partie du moins – une fois la menace passée.
Les responsables payeraient – mais pas publiquement. Des mesures seraient prises pour qu’un désastre de cette nature et de cette importance ne puisse plus jamais se reproduire.
Holman avait abordé avec Ryker un sujet qui le tracassait, la présence du mycoplasme dans la cathédrale. S’y était-il trouvé enfermé, ou y avait-il trouvé refuge ? Etait-il vraisemblable, ou tout juste possible, que le produit mutant possède une sorte d’énergie propre ? Se pouvait-il qu’il ait — Holman avait hésité – qu’il ait une intelligence ? Après tout, c’était un parasite qui se nourrissait du cerveau humain.
Le professeur avait ri, mais sans grande conviction.
— Tout être vivant possède une énergie, monsieur Holman. Même la vie végétale a une intelligence, c’est une question de degré. Quant à supposer ce produit doué de volonté, non. Une force de survie peut-être, comme chez la fleur qui se tourne vers le soleil, mais un esprit qui lui soit propre, sûrement pas. Ne laissez pas l’épreuve que vous avez endurée ce matin vous entraîner au royaume de l’imaginaire, monsieur Holman. Le mycoplasme ne dirige pas le brouillard, c’est le brouillard qui le protège ; quand le vent pousse la nappe, il doit partir aussi, prisonnier en son centre, captif du nuage qui l’abrite. C’est un organisme sans pouvoir ni raison, incapable d’une action réfléchie.
— Et d’une action instinctive ?
— Instinctive, peut-être.
— Cela revient probablement à la même chose.
Ryker garda le silence le reste du trajet. Plongé dans ses pensées, il secouait parfois la tête comme pour rejeter une théorie, puis son front se plissait sous l’effet d’une autre idée, qu’il repoussait au bout de quelques instants.
Après que Holman eut fait son rapport au ministre de l’Intérieur en personne, Barrow l’accompagna au Centre de la Recherche. Holman avait promis de réitérer son essai dès que les conditions seraient favorables. Il resterait en contact radio permanent avec le quartier général jusqu’au moment propice ; alors, un avion l’emmènerait vers l’endroit désigné. Il pourrait le déposer dans l’axe exact du centre du brouillard, de façon à ce que celui-ci passe droit sur lui. Holman avait refusé avec véhémence : s’il n’y avait pas d’autre moyen, il s’y résignerait, mais il ne voulait pas, absolument pas, affronter le mycoplasme de plein fouet, ce qui lui laisserait très peu de latitude pour manœuvrer.
A un autre moment, il aurait probablement pris le risque, mais, pour l’heure, il était sur les nerfs et pas d’humeur à renouveler sa performance du matin. Et puis, il était anxieux de voir Casey, de savoir si l’expérience était concluante, si elle évoluerait vers un état végétatif ou bien redeviendrait elle-même.
Sagement, le ministre s’était retenu de contraindre Holman à obtempérer, sachant que l’homme serait plus utile quand il aurait retrouvé tous ses moyens. En attendant, des dispositifs seraient installés sur le parcours du brouillard, des conteneurs pouvant être maniés à distance quand les détecteurs signaleraient la proximité du mycoplasme. C’était une méthode empirique et peu satisfaisante, mais on ne disposait de rien d’autre pour l’instant.
L’inquiétude de Holman culmina quand il tourna la poignée de la porte marquée du chiffre trois. A travers sa partie vitrée, il aperçut la pâle figure allongée dans le lit.
Une infirmière la veillait, prête à appeler Janet Halstead aux premiers signes de réveil. Elle sourit en voyant Holman entrer.
— Comment va-t-elle ? questionna-t-il.
— Elle dort plutôt paisiblement, mais il a fallu lui administrer de puissants calmants pour la radiographier et la transfuser, parce qu’elle était assez violente.
— Puis-je rester un moment près d’elle ?
— Mais bien sûr, acquiesça l’infirmière en se levant, souriante. Je vais vous laisser quelques minutes, mais si elle s’éveille, pressez ce bouton. Vous verrez, la pièce se remplira de monde en une seconde. Nous sommes tous impatients de connaître le résultat de la thérapie.
— Est-ce que les signes sont positifs ?
— Oui, mais en toute franchise, monsieur Holman, on ne peut rien dire encore. Je suis sûre que le docteur Halstead vous a expliqué.
— En effet.
Il s’assit sur la chaise qu’elle venait de quitter. Avant de sortir, l’infirmière prit le pouls de sa malade pour la sixième fois depuis le début de sa garde. Son expression impassible ne fournit aucune indication à Holman.
Il s’attarda à contempler le visage de Casey. Comme elle était fragile ! Elle avait traversé tant d’épreuves qu’il semblait impossible qu’elle redevienne ce qu’elle était, même si le parasite avait été vaincu. Quand ses yeux s’ouvriraient, le reconnaîtraient-ils ? Ou auraient-ils encore cette lueur lointaine, cet air perdu si obsédant, si terrible ? Il savait qu’elle avait les poignets attachés de chaque côté du lit sous les draps blancs, et cela lui fit venir les larmes aux yeux, des larmes qu’il ne pouvait pas verser. Il aurait voulu pleurer, lâcher la bride à ses émotions, mais les larmes étaient un luxe auquel il avait renoncé depuis beaucoup, beaucoup d’années. Pourtant l’envie de pleurer était là ; il ne pouvait pas s’y laisser aller malgré son désir, et c’était douloureux.
Il tendit la main vers elle, toucha ses lèvres, sa joue, sa gorge. Elle remua, plissa un peu le front, puis ses traits redevinrent paisibles. Il prononça son nom alors, non pour la réveiller, mais parce qu’il avait besoin de l’entendre ; les paupières de la jeune fille frémirent et s’ouvrirent enfin.
Ses yeux se posèrent sur lui, inexpressifs. Il se figea, et, l’espace d’une seconde, plus rien n’exista, le réel s’abolit ; il n’y eut plus de temps, et plus aucune question.
Et les prunelles s’animèrent, devinrent celles d’une personne vivante avec ses émotions, ses sentiments. Elles souriaient, et les lèvres souriaient aussi.
— Pourquoi m’appelles-tu Casey, John ?
Et elle retomba dans un profond sommeil.
Janet Halstead fut ravie quand John lui fit part des paroles de Casey. Il semblait certain que le cerveau de la jeune fille fonctionnerait normalement lorsqu’elle aurait tout à fait repris conscience, même si on ne pouvait rien affirmer jusque-là. Janet insista auprès de Holman pour qu’il dorme quelques heures, en lui promettant de l’éveiller dès que Casey sortirait de sa torpeur. Elle lui trouva une chambre tranquille pour se reposer et retourna consulter le dossier de sa patiente.
Trois heures après, Barrow vint secouer l’épaule de Holman.
— Elle est réveillée, mon vieux, et elle va bien.
Holman s’assit avec un grand sourire, se passa la main sur le menton.
— Oh la la, il faudrait que je me rase.
— Elle ne le remarquera pas, allez.
Il sauta du lit, enfila sa veste.
— Y a-t-il du nouveau sur le brouillard ?
— Oui, je vous raconterai tout ça après.
Casey était assise dans son lit, en conversation avec Janet Halstead. Son visage s’éclaira à l’entrée de Holman. Tout de suite, ils furent dans les bras l’un de l’autre, et Holman lui couvrit le visage de baisers. Janet sourit à Barrow ; ils s’éclipsèrent discrètement.
— Tu es guérie ! s’écria Holman en riant, lorsqu’ils desserrèrent enfin leur étreinte.
— Oui, oui, je me sens très bien.
— Est-ce que... est-ce que tu te rappelles quelque chose ?
— Très peu de choses, John.
Elle se fit grave, et son regard fuyait.
— Je me rappelle que j’ai essayé de te tuer.
Il l’attira à lui, sans un mot.
— C’est si confus, John. Des images me traversent la tête, tout se mélange, rien n’est réel... — Elle se serra contre lui.
— Mon père..., commença-t-elle, et sa voix se brisa.
— Casey...
— Il est mort, n’est-ce pas ?
Stupéfait, il s’enferma dans le silence. Elle se souvenait donc ? Finalement il répondit :
— Oui, Casey, il est mort.
— Il n’était pas mon père.
Holman retomba dans un silence impuissant.
— Il me l’a dit, John, juste avant que je le tue. Il m’a dit qu’il m’aimait... qu’il m’aimait d’un amour plus fort que celui d’un père. Il... il me désirait.
Elle se mit à pleurer, tremblant de tout son corps, des larmes de tristesse, non de remords.
— Je ne réalise pas encore. J’ai de la peine pour lui, mais, bizarrement, je ne me sens pas vraiment affectée comme je devrais l’être. Comment est-ce possible, John ? Est-ce que je suis folle encore ?
Elle s’écarta de lui, le couvrit d’un regard implorant.
— Dis-moi, John, est-ce que je suis folle ?
— Non, chérie, dit-il en prenant son visage entre ses mains. Je pense que le choc viendra plus tard. — Et Dieu t’aide alors, pensa-t-il. Tu as été trop éprouvée, c’est ton esprit qui te protège. Le chagrin viendra bien assez tôt. Ne le force pas.
Elle fondit en larmes, se blottit contre lui, toute secouée de sanglots. Il la serra fort contre lui. Ses paroles avaient libéré un peu de son mal, il le savait.
— Je l’aimais, tu comprends, je l’aimais tellement ! Comment pourrai-je vivre après ce que j’ai fait ?
— Ne te sens pas coupable, Casey, tu n’étais pas responsable.
— Et toi, John, j’ai essayé de te tuer. Me pardonneras-tu ?
— Tu n’étais pas responsable, ma chérie.
— Est-ce que je suis normale maintenant ? Tout à fait normale ?
— Mais bien sûr que tu l’es. Je t’aiderai à oublier, Casey, je te le promets. Je t’aiderai.
Il faudrait du temps pour guérir la blessure qu’elle s’était infligée, beaucoup de temps. Mais il la savait assez forte pour la surmonter. Que les motivations de Simmons n’aient pas été entièrement pures lui faciliterait peut-être la tâche, ou la compliquerait, comment savoir ? Tout dépendrait de Casey, et de lui aussi qui devrait compenser l’amour qu’elle avait perdu.
Il lui parla longtemps, avec douceur, en pesant chacun de ses mots qui peu à peu firent leur chemin au milieu de la tristesse.
— Et maintenant, que va-t-il se passer ? demanda-t-elle à la fin.
— Ils veulent que je retourne dans le brouillard pour rapporter du mycoplasme.
— Pourquoi toi ? Janet m’a expliqué comment ce produit provoquait la folie. Qui exige cela ?
En termes concis, il lui exposa les faits, lui parla du virus, de l’aveuglement insensé qui en était à l’origine. Il lui expliqua pourquoi il était immunisé, et elle aussi probablement, mais ne détailla pas son aventure du matin pour ne pas l’inquiéter davantage ; il lui dit simplement qu’il n’avait pas pu localiser la source.
Elle écoutait, horrifiée, incrédule, à peine rassurée de savoir qu’elle était sans doute immunisée.
L’entrée de Janet Halstead les interrompit. Son sourire trahissait sa fatigue.
— Nous avons encore quelques examens à pratiquer sur Miss Simmons, John, et ensuite j’aimerais qu’elle se repose. Votre ami policier meurt d’impatience de vous dire un mot, je crois.
Holman embrassa Casey, promettant de revenir dès qu’on le lui permettrait. Elle se retint de lui dire de rester, de ne pas retourner dans le brouillard, de l’emmener dès qu’elle serait assez forte... Ce n’était pas la peine, elle le savait. Elle savait aussi que de très nombreuses vies dépendaient de lui. Malgré l’avance technologique de la science, leur survie dépendait de l’action d’un homme. D’un seul homme.
Barrow l’attendait dans le couloir.
— Ils désirent que vous y retourniez, Holman.
— Et leurs dispositifs, alors ?
— Cela n’a pas marché. Ils sont passés à côté du noyau. En ce moment, ils pulvérisent sur le brouillard des centaines de tonnes de chlorure de calcium, et il semble que la nappe soit en régression. Ils vous veulent sur place, prêt à intervenir quand ils en auront dissipé le maximum.
— Et le vent ? Est-il tombé ?
— Il n’est plus aussi mauvais.
— Bon. Puisque je n’ai pas le choix, je choisis de recommencer.
L’hélicoptère les déposa en un point situé à l’est de Haslemere, où les rejoignirent Hermann Ryker, William Douglas-Glyne et Keith Macklen. Un groupe de véhicules occupait une position stratégique qui dominait toute la campagne environnante. Holman fut impressionné par le flot continu de petits appareils qui survolaient le nuage de brouillard qu’on voyait au loin, encore plus sinistre dans le crépuscule.
Douglas-Glyne vint vers lui, main tendue.
— Bel effort ce matin, monsieur Holman !
Son hypocrisie fit venir un sourire désabusé sur les lèvres de son interlocuteur.
— Navré qu’il n’ait rien donné, répondit-il.
— Allons, allons. Vous serez plus heureux la prochaine fois !
Sir Keith Macklen ne mâcha pas ses mots.
— Il faut que vous fassiez une autre tentative. Il est absolument vital que vous nous rapportiez un peu de ce maudit truc.
— Oui, renchérit Douglas-Glyne. En désespoir de cause, nous avons envoyé deux volontaires il y a deux heures. Ils sont bien protégés par leurs combinaisons et disposent d’un véhicule de l’armée. Nous avons perdu le contact radio avec eux il y a environ une heure.
— Alors c’est à vous de jouer, dit sir Keith.
— Messieurs, intervint le professeur Ryker qui s’approchait d’un pas tranquille, monsieur Holman ne peut rien tenter pour le moment. Il n’est pas question d’interrompre la pulvérisation à présent qu’elle semble donner quelques résultats, et monsieur Holman pourrait difficilement marcher dans une telle concentration de chlorure de calcium. Malheureusement, le brouillard ne s’est pas dissipé autant que je l’espérais, et l’obscurité qui ne va pas tarder rendrait sa tâche encore plus hasardeuse.
— Des milliers de vies sont en jeu ! s’écria sir Keith, bourru.
— Justement. C’est pour cette raison que monsieur Holman nous est si précieux. Nous ne pouvons pas nous permettre de risquer inutilement sa vie – et encore moins à présent, avec deux déments qui se promènent très probablement dans les parages.
— Mais nous n’en savons rien...
— Si, nous le savons ! s’emporta Ryker. C’est sur votre insistance, sir Keith, qu’ils y sont allés. J’ai émis un avis défavorable et je vous ai expliqué ce qui allait se produire. Je ne permettrai pas que monsieur Holman risque sa vie à cause de votre manque de jugement ! C’est capital pour notre opération.
— Mais nous ne pouvons pas rester là à ne rien faire ! fulmina Douglas-lyne.
— Vous appelez cela ne rien faire ? Nous allons vaporiser le brouillard toute la nuit, aussi longtemps que dureront nos réserves. Tôt demain matin, il devrait avoir diminué suffisamment pour nous permettre de voir le mycoplasme lui-même – s’il est encore visible sans son enveloppe protectrice. D’ici là, monsieur Holman, je vous suggère d’aller dormir. Nous vous appellerons le moment venu.
Aux petites heures du matin, Holman fut réveillé une fois de plus par Barrow. Il avait observé le brouillard pendant des heures tandis que le convoi des voitures et camions militaires roulait lentement derrière lui comme une procession funéraire à la recherche d’un cimetière, avant de s’abandonner à un lourd sommeil sans rêves à l’arrière de la voiture qui le transportait. Il ne s’était éveillé qu’une seule fois, lorsque des clameurs d’alarme avaient couru dans le convoi ; on avait trouvé les corps des deux scientifiques qui s’étaient aventurés un peu plus tôt dans le brouillard ; tout indiquait qu’ils s’étaient tués l’un l’autre avec les revolvers dont ils s’étaient munis pour se protéger contre les attaques éventuelles d’individus égarés dans la brume. Le sommeil l’avait repris presque immédiatement, cette fois peuplé de silhouettes grotesques sur lesquelles son regard ne parvenait jamais à se fixer.
Barrow avait dit quelque chose, lui semblait-il... Il se frotta les yeux pour tenter de se réveiller, lui demanda de répéter.
— J’ai dit que le brouillard était parti, dit Barrow lentement, en détachant chaque mot. Il a disparu.